Présentation du film Citizen Kane par PLR

Citizen Kane, film sorti en 1941 aux États-Unis, occupe une place particulière dans l’histoire du 7ème art. On peut même dire que c’est le film des premières fois :

– Le premier film réalisé par Orson Welles !

– La première apparition au cinéma d’Orson Welles en tant qu’acteur !

– Les premiers rôles au cinéma des comédiens de sa compagnie de théâtre !

– La première composition musicale pour le cinéma de Bernard Herrmann !

– Le premier réalisateur affranchi des règles strictes d’un studio hollywoodien 

– Et c’est aussi l’introduction de plans inédits et de techniques nouvelles dans un film !

Autant dire que c’est un film de débutants. Et pourtant, il a marqué l’histoire du cinéma grâce à ses innovations cinématographiques, musicales et narratives, qui ont bousculé le cinéma des années 40 et amorcé une rupture dans le septième art. Ce film « des premières fois » a connu une remarquable postérité. Jugé sévèrement à sa sortie sur les écrans, il est considéré aujourd’hui comme un véritable joyau du septième art : il a été classé comme meilleur film de tous les temps de 1962 à 2012 par la presse britannique de cinéma. Aujourd’hui encore, ce véritable joyau continue sa longue et brillante carrière sur les écrans des ciné-clubs au point d’avoir presque éclipsé le reste de la production cinématographique d’Orson Welles. 

Le caractère d’exception du film Citizen Kane rend compte de la créativité, de la passion et de la liberté d’Orson Welles, âgé seulement de 25 ans au moment du tournage.

Ignorant en matière de cinéma, le jeune Orson Welles est néanmoins un artiste déjà expérimenté, aux multiples talents, lorsqu’il franchit l’usine à rêves hollywoodienne :

– Fou de théâtre, il monte très tôt ses premières pièces – une adaptation du Docteur Jekyll et M. Hyde à l’âge de dix ans. Il manifeste une véritable boulimie pour tous les aspects de la conception théâtrale : maquillage, dessin des décors, interprétation et mise en scène.
– À peine âgé de vingt ans, il crée sa propre troupe de comédiens, le Mercury Theater. Elle s’enrichira par la suite des acteurs rencontrés à la radio où il entre en 1935. À 20 ans. Il se passionne pour ce média qui lui permet de développer diverses expérimentations narratives.
– Metteur en scène quasi inconnu alors, Orson Welles devient célèbre auprès du grand public en 1938 avec son adaptation sur les ondes du roman de science-fiction La Guerre des Mondes, de HG Wells. L’évocation réaliste du débarquement de Martiens trouble une partie des auditeurs et connait un fort retentissement médiatique.


Orson Welles est alors appelé, en 1939, par Hollywood. C’est la RKO, le plus modeste des cinq grands studios de l’époque, qui décide de miser sur ce néophyte à l’avenir prometteur. L’apprenti cinéaste négocie avec aplomb un contrat en or et obtient un contrôle d’une ampleur inédite sur un film hollywoodien.


L’aventure de Citizen Kane lui permet de connaître et de maîtriser les rudiments du métier. La créativité débordante d’Orson Welles est accompagnée par le décorateur Perry Ferguson et le directeur de la photographie Gregg Toland


Leur collaboration donne naissance à des innovations techniques et visuelles. Gregg Toland figure à côté d’Orson Welles, reconnaissant, dans le générique du film. L’oscar du meilleur scénario original attribué conjointement à Orson Welles et Herman J. Mankiewicz, dialoguiste de talent, met un point final au conflit d’ego entre les deux hommes concernant la paternité de l’écriture du scénario.

Citizen Kane retrace le parcours d’un homme puissant de la presse américaine et qui a réellement existé. Une des clés de sa personnalité se trouve dans la phrase troublante : « J’aurais pu être un homme bien si je n’avais pas été si riche… ». À vous de le croire ou non ! 

Après un premier projet de scenario vite abandonné (une adaptation du roman de Joseph Conrad Au cœur des ténèbres), il change de décor et d’histoire, mais conserve néanmoins son intérêt pour une figure puissante, tyrannique, solitaire et insaisissable. 

Quelques éléments biographiques invitent à voir dans sa première réalisation hollywoodienne une inspiration très personnelle, ne serait-ce qu’en raison du pouvoir donné très jeune à Kane, qui résonne avec sa puissance nouvelle de cinéaste à seulement 24 ans. 

Cependant, l’origine du film doit aussi beaucoup à son scénariste Herman J. Mankiewicz (frère du cinéaste Joseph L. Mankiewicz, réalisateur de films légendaires comme L’aventure de Mme Muir, Soudain l’été dernier) et à la connaissance qu’il avait de l’homme qui servira de référence pour Kane: le multimillionnaire William Randolph Hearst

Or, ici, il y a un problème dû à l’ego démesuré de Wells qui s’est toujours désigné comme l’auteur à   part entière de Citizen Kane, minimisant volontairement la précieuse collaboration d’Herman Mankiewicz, dialoguiste de talent. 

Pour le cinéaste David Fincher (célèbre réalisateur de Seven, Fight Club, L’étrange histoire de Benjamin Button) l’apport de «Mank» au scénario se devine justement à travers sa fréquentation du magnat de la presse et de la radio William Randolph Hearst et de son épouse, l’actrice Marion Davies, qui auraient servi tous deux de modèle au couple central du film : David Foster Kane et sa deuxième femme, la chanteuse Susan Alexander.

Le magnat de la presse était prêt à toutes les folies pour sa femme : il lui avait fait construire un palais démesuré, le Hearst Castle, qui inspire le Xanadu du film dont le nom est emprunté à un palais exotique érigé de l’empereur de Chine Kubilai Khan. 

Ces ressemblances plutôt frappantes commencent à intriguer les milieux hollywoodiens : au cours du tournage, on murmure en effet que le film de Welles serait une biographie critique de la vie de Hearst. L’intéressé décide de jouer de son pouvoir pour faire pression sur la RKO, menaçant de ne plus parler de ses films dans ses journaux. Il aurait même proposé au studio la coquette somme de 842 000 dollars (soit la totalité du coût du tournage plus 20%) pour acheter le film.

George Schaefer, qui dirige alors le studio, ne se laisse pas intimider. Quant à Welles, il nie tout bonnement faire un film sur le célèbre magnat de la presse. La réalité rejoint malgré tout la fiction et Hearst lance une campagne de diffamation contre la RKO. La sortie du film, sans cesse repoussée, se voit sérieusement compromise. Le contrat de Welles, qui a impliqué sa société Mercury Productions dans le projet, lui permet de faire pression sur le studio. Au dire de son monteur Robert Wise (futur réalisateur de West Side Story), le discours que le cinéaste tient lors de la préprojection de son film devant des patrons de majors et leurs avocats sera déterminant pour la sortie, finalement obtenue, de Citizen Kane sur les écrans

Malgré l’accueil enthousiaste dont le film bénéficie à sa sortie à New York, en mai 1941, il ne rencontre pas le succès public escompté dans d’autres villes, grandes et petites, des États-Unis. Welles, pour ce premier film, perdra plus de 160 000 $. Outre sa dimension novatrice, possiblement déconcertante, le film n’est peut-être pas apprécié parce qu’il s’en prend à une figure intouchable aux États-Unis, celle d’un homme dont la richesse est perçue comme un symbole de réussite. 

La sortie de Citizen Kane en France sera repoussée à l’après-guerre, en juillet 1946.  Il sera salué par la critique et est désormais mondialement reconnu comme une œuvre majeure de l’histoire du cinéma.

UNE ŒUVRE NOVATRICE SUR LE PLAN DE LA TECHNIQUE

Citizen Kane est resté célèbre pour son usage du plan-séquence avec grande profondeur de champ. Il s’agit de filmer une scène en un seul plan en disposant les éléments dramatiques (objets et personnages) dans la profondeur de l’image plutôt qu’en articulant leur intervention par le montage. Ce mode de mise en scène inscrit la dynamique des relations entre personnages dans la composition de l’espace et laisse une grande liberté au regard du spectateur. À la directivité du découpage classique qui implique affectivement le spectateur dans l’action des personnages, il substitue une approche distanciée qui sollicite son jugement sur la scène montrée dans sa globalité. 

Welles n’était pas seul dans la création des innovations du film. En effet, le décorateur Perry Ferguson et le directeur de la photographie Gregg Toland vont aider le cinéaste dans cette entreprise novatrice.

UNE INTERPRETATION AMBIGUE

Beaucoup d’exégètes ont analysé le film comme une critique parfois violente du pouvoir et de l’argent : Kane a un ego démesuré et il veut que personne ne lui résiste – sauf sa deuxième épouse, la chanteuse d’opéra Susan Alexander, qui le quitte : « Tu m’aimes pas, et tu me payes pour t’aimer » lui dit-elle en partant. Echec sentimental ici. Par ailleurs, Kane peut largement sponsoriser sa carrière d’interprète lyrique : il lui fait construire un opéra à Chicago, il lui paye les meilleurs professeurs de chant – qui sont prêts à renoncer à leur enseignement devant le manque de talent de leur élève, mais restent toutefois par appât du gain – il peut manipuler l’opinion grâce à ses journaux, mais il ne peut pas acheter une voix à Susan : elle n’en n’a pas, elle chante comme un pied ! Echec là encore. L’argent a ses limites : avec la position de Kane, on est souvent aimé non pour sa personne, mais pour sa fortune. 

D’autres critiques cinématographiques pensent que Citizen Kane ne raconte pas l’histoire d’un homme qui regrette de ne pas s’être fait tout seul mais celle d’un homme privé d’enfance et d’affection. Le récit consacré à l’enfance de Kane s’achevait par deux plans montrant la luge du jeune Charlie progressivement ensevelie sous la neige. Ce sera cette luge qui motivera les seuls pleurs de Kane durant tout le film, lorsqu’il tient la boule de verre après le départ de Susan, ainsi que nous le comprenons lors du travelling final sur l’inscription Rosebud. Le basculement du film dans le registre de l’émotion liée à la nostalgie de l’enfance ne manque pas de surprendre. Citizen Kane, un des grands films sur le paradis de l’enfance ?

Que reste-t-il de Charles Foster Kane à la fin de sa vie ? Un homme seul, tragiquement seul face à l’approche de la mort. Citizen Kane, film sur le drame de la solitude ?

Mais plusieurs interprétations sont possibles :

  • Critique du pouvoir et de l’argent (thème explicitement invoqué par Welles)
  • La perte et la nostalgie de l’enfance (André Bazin)
  • La malédiction de la célébrité (François Truffaut)
  • La solitude
  • L’impossibilité d’aimer autrui pour celui qui s’aime lui-même, et l’impossibilité de forcer les gens à vous aimer (« tu parles des gens comme s’ils étaient ta propriété », dit Jededaiah à son ami Kane).

En définitive, il est impossible de réduire le film à un seul sujet, son sujet est précisément l’intrication de toutes ces dimensions.